Le respect de la parole donnée
L’Embraser 190 de la compagnie Royal Air Maroc
Se range sur le tarmac de l’aéroport de Ouagadougou.
Il est 1h30 du matin. Thomas, le jeune qui m’accompagne, s’étire sur son siège.
Nous avons quitté Marseille et l’hiver provençal
Pour rejoindre une mission humanitaire au Burkina Faso.
Un projet imaginé par des jeunes du lycée interrégional de Manosque,
Projet soutenu par des profs pas comme les autres.
Il s’agit d’installer des panneaux solaires pour éclairer les salles d’études de deux collèges.
Une mission en pleine brousse, à laquelle j’ai été associé pour tourner une vidéo.
Nous descendons de l’avion par la passerelle qu’on vient d’avancer.
En février, en pleine nuit il fait encore presque 30 degrés.
Ouaga est endormie et ne brille pas des mêmes feux que nos capitales européennes.
Ouaga est plus sombre, plus humble et plus économe.
Ouagadougou est plus pauvre.
Le chef coutumier du canton de Toleha, où nous nous rendrons demain, nous attend.
Je suis heureux de retrouver Mikinam Kouda.
Il a conservé son sourire réservé et sa joie discrète
Pour afficher dès notre arrivée, une complicité vieille de 10 ans.
C’est mon troisième voyage dans ce pays où on peut toucher du doigt l’essentiel.
La chambre à Ouaga, pour passer ce qui reste de la nuit, est sommaire.
Un lit, une moustiquaire et un filet d’eau dans le lavabo feront l’affaire.
Dans la brousse, les conditions seront plus rudes encore.
Le lendemain, après deux heures et demie de route, mi goudron, mi piste,
Nous rejoignons le campement où nous attendent les profs et les élèves déjà sur place.
Des vacances originales
Le chantier est bien avancé.
Nous arrivons et profitons tout de suite d’une excellente ambiance.
Le moral ne semble pas affecté,
Même si, la fatigue due en partie à une température de 40 degrés pendant la journée,
Commence à se faire sentir.
Les jeunes sont heureux de l’accueil qui leur a été réservé par la population des villages.
Ravis de leurs rencontres avec d’autres jeunes africains,
Touchés d’être « chouchoutés » par les membres d’Assolidafrica 07, chargés de la logistique.
Ils ne regrettent pas leurs choix pour ces vacances originales et intenses.
Ils ont le sourire et sont pressés de nous raconter.
Nous sommes à notre tour, immergés dans cette ambiance,
Ambiance si particulière que tous ceux qui voyagent sans préjugés, connaissent bien.
Des moments faits d’échanges où profs et élèves venus pour aider,
S’enrichissent d’inimaginables présents.
La dernière semaine du chantier se passe bien.
J’y réalise les plans et les interviews nécessaires,
Pour construire plus tard, des messages vivants et fidèles.
Les profs ont l’esprit occupé à faire en sorte qu’après leur départ,
Tout continue à fonctionner…
Ils s’appliquent à donner des consignes précises
Aux villageois chargés de la pérennité des installations.
Dans quelques jours, les participants à la mission vont devoir gérer ce moment
Où les liens tissés seront soumis à l’incontournable épreuve du départ,
Cet instant, qui mettra hors de portée de leurs regards,
Les dents blanches offertes par les rires de ces nouveaux amis.
L’importance de la parole donnée
La plus grande découverte des enseignants et de leurs élèves,
C’est l’importance, au Burkina, de la parole donnée.
Le chef coutumier est un homme sage, discret, à l’écoute.
Il parle peu et lorsqu’il le fait, le ton de sa voix est doux et bienveillant.
Aucune arrogance, aucun mépris.
Simplement l’affirmation tranquille de ce qu’il croit bon pour son « peuple ».
Sans souci de convaincre, de gagner, d’avoir raison à tout prix,
C’est ce qui fait la différence.
Quand il parle, sa parole devient engagement,
Sans qu’il ait d’ailleurs besoin de le préciser.
Sa parole ne souffre pas de commentaires, de questions sur le calendrier de réalisation.
« Nous ne fonctionnons pas avec des devis, des délais et des plannings », nous avoue t-il.
Mais, comme par enchantement tout se passe. Tout arrive.
Tels ces supports pour les panneaux solaires, rapatriés par le chef lui-même,
En pleine nuit, de Koudougou, situé à 5 heures du chantier,
Pour être livrés à temps, avant l’arrivée de la mission.
Tels ces disjoncteurs qu’il a fallu changer au dernier moment et qui arrivent de Ouaga,
On ne sait pas bien comment. Quand on ne les attendait plus.
Tel ce trou de deux mètres de profondeur qui n’avait pas été prévu,
Pour la mise à la terre des installations,
Et qu’on découvre réalisé, à la veille de notre départ,
Creusé par on ne sait qui, pendant la nuit,
Avec l’aide d’une lampe frontale,
Ou peut-être même l’éclairage faiblard d’un téléphone portable.
Il n’y a pas eu de devis, pas de négociation, pas de palabres pour savoir qui creuserait.
La commission de sécurité n’a pas été sollicitée. Elle n’existe pas.
Il n’y a pas eu de blessés.
La parole a suffi.
La parole donnée ne s’envole pas
Dans ce pays où l’on a faim, la parole donnée est le fil rouge sacré de la relation.
Inhabituel pour les européens que nous sommes.
La parole donnée ne s’envole pas au Burkina Faso.
Faute de papier, c’est dans la tête qu’elle s’imprime. Sans doute aussi dans le cœur.
Lors de la réunion de fin de chantier avec le chef coutumier,
Tout s’éclaire sur les vertus et l’efficacité
De ce fonctionnement atypique pour nous les « blancs ».
Nous étions venus donner,
Nous voici en train de recevoir une belle leçon d’humanité et d’efficacité.
Dans ce pays, croire en la parole donnée n’est pas un risque à prendre,
C’est un cadeau à accepter.
Dans l’avion du retour, je somnole et je ne peux m’empêcher
De penser à toutes les paroles que j’ai pu donner,
Un peu vite, sans doute,
Sans avoir mesuré la façon dont elles étaient reçues, mémorisées, sacralisées par les autres.
Je pense naturellement aussi, aux élections qui auront lieu prochainement en France,
Et aux inévitables promesses qui seront faites.
Je pense à ce dicton pessimiste auquel il a fallu s’habituer chez nous :
« Les promesses n’engagent que ceux qui les croient ».
Pourtant, si les paroles sont libres, elles ne s’envolent jamais définitivement.
Il y aura toujours quelqu’un pour vous les rappeler. Au plus mauvais moment…
Je pense à la parole affligeante de plusieurs de nos « grands » hommes politiques,
Pourtant bien avertis des choses de la communication,
Elle n’a plus aucune force ni aucune saveur. Elle n’est plus accueillie.
Nous sommes ici, bien loin du Burkina Faso : « Le pays des hommes intègres ».
Norbert MOUIREN
Contact : contact@motsenliberte.fr
Merci Norbert pour cette relation du séjour des jeunes de Manosque à Boulma. Cela me permet de me préparer un peu pour le séjour des Amis de Gonsé cet été. Nous y fêterons nos 30 ans ! Et je compte bien aller à Boulma et y entendre sonner la cloche ! 😉
Merci tonton pour ce partage et ce récit qui nous ramène à des valeurs humaines.
Bien d’accord avec toi, Norbert. Bien d’accord aussi avec ce que dit Claude et j’ajouterai que la parole donnée existe aussi dans un domaine qui n’a pourtant pas la cote, celui des affaires – celles des entreprises, pas celles qui relèvent de la justice ! Je l’ai expérimenté durant des dizaines d’années et ça marche !
Joël
La parole donnée existe encore chez nous heureusement, mais surtout dans les associations de bénévoles.
Merci noby pour ce compte rendu de votre voyage mission au Burkina. Effectivement ces pays moins développés que le notre en matière d’économie sont infiniment plus sages et surtout plus respectueux de la parole donnée. Chez nous, les « politiques » ont rejeté depuis longtemps l’engagement d’une promesse même orale… Nous sommes en pleine période de promesses qui ne resteront que mensonges ou mode d’obtention de voix des gens honnêtes.